Chacun connaît l’histoire de Blanquette, la chèvre de Monsieur Seguin, son échappée dans la montagne, et sa fin tragique, mais ce que l’on ignore, c’est …
Et si je commençais plutôt par le commencement ?
Il y a quelques temps, un maçon a été demandé à Fontvieille, au moulin d’Alphonse Daudet, afin d’y effectuer une réparation sur un mur intérieur. Après avoir dégagé l’endroit abîmé, quelle ne fut pas sa surprise de voir apparaître un petit coffret de bois logé entre deux pierres.
Il appela aussitôt le responsable, et avec d’infinies précautions, tous deux dégagèrent l’objet. Que contenait-il ? Plusieurs feuilles d’un papier jauni couvert d’une écriture encore très lisible et portant le titre : “La chèvre de Monsieur Seguin !”
Mais ce n’était pas l’histoire que nous connaissons et que bien des écoliers ont apprise par cœur. Ah ! Non, la fin, surtout !
Le responsable décréta qu’il ne fallait pas divulguer ce document avant qu’il en ait référé au Ministère de la Culture. Il se hâta donc d’aller téléphoner, laissant le soin au maçon de remettre le coffret à la place où il l’avait trouvé avec les papiers dedans. Les réparations attendraient.
En fait, l’affaire n’eut pas de suite, on ne sait pour quelle raison. Le responsable du moulin colmata lui-même le mur avec le texte dedans, le soir même à la dérobée, après le départ des derniers visiteurs. Pourquoi cet écrit avait-il été conservé ? Daudet comptait-il le publier ? Autant de questions sans réponse à ce jour.
Le rusé maçon, quant à lui, profitant du bref moment où il avait été seul, avait photographié le texte grâce à son téléphone portable !
Si je vous dis que cette personne est un cousin germain à moi du côté maternel, vous comprendrez aisément comment le texte est arrivé entre mes mains.
Bien entendu, la publication de ce document est illégale, mais je compte sur votre discrétion pour ne pas ébruiter la chose. Je n’aimerais pas que mon cousin ait des ennuis.
Voici donc la seconde partie, la plus surprenante, celle où il est écrit :
“Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et …Blanquette se redressa alors, et s’adressant soudain au loup :
- T’entends c’que j’entends, Loup ?
- Quoi ?
- Là, dans la vallée !
- Je n’entends rien, voyons, vous divaguez, ma chère !
- T’es sourd, en plus !
- Mes tympans sont détruits, vos cornes en sont la cause !
- Pauv’chou ! C’est un autobus, tu l’vois à présent ?
- Ah ! Oui je l’aperçois. Il est beau. Et alors ?
- Qu’est-ce qu’y a dans l’autobus ?
- Des touristes, je pense, enfin je l’imagine.
- Voilà ! On y est ! Y a pas que d’l’air dans ton cerveau ! Alors qu’est-ce qu’on fait là, maintenant ?
- Je m’en vais de ce pas vous dévorer, ma belle !
- Je m’en vais gna gna gna … Et y parle en alexandrins, en plus ! Tu sais qu’t’es lourd, toi ! Me dévorer, pauv’ pomme ! Tu crois pas qu’y a mieux à faire que de se taper dessus ?
- Mais moi j’ai un peu faim, ce combat m’a creusé !
- Y a pas de mais ! Voudrais-tu te faire un max de blé ?
- De blé ? Mais à quoi bon ? Est-ce une devinette ?
- Mais non, de l’oseille, de la tune, du fric, de l’argent, quoi !
- Hélas, je voudrais bien, mais avec cette crise …
- Qu’il est bête, cet animal ! Fais-moi confiance, mon coco, j’ai ton affaire, on va être riches ! Tiens, aide-moi à me relever et allons sous la cascade nous laver un peu. Y en a besoin, on s’est mis minables, surtout toi. Viens, j’vais t’expliquer !
Ce qui s’est passé ensuite, si vous voulez le savoir, “allez le demander aux sources bavardes qui courent invisibles dans la mousse …”*
Toujours est-il que quelques semaines plus tard, les touristes eurent l’heureuse surprise de découvrir, juste au départ des sentiers de randonnée, une charmante petite guinguette baptisée “Chez Loulou et Lolotte”.
Elle est tenue par Blanquette qui a changé son nom qu’elle jugeait trop commun, et le Loup qui est devenu poète sous le pseudonyme de Loulou. La terrasse ne désemplit pas, et chaque soir, les deux compères comptent leur fortune en poussant des cris de joie.
Lolotte fait le service et dirige tout, tandis que Loulou fait la cuisine et la vaisselle et, quand il a fini, récite des vers aux clients.”
Mais comme on disait chez nous autrefois, dans le Poitou : “Ol’est pas li qui cope le farci !” (Ce n’est pas lui qui porte la culotte !) Juste retour des choses, non ?
*Emprunt au texte, le vrai.
AG