
Au milieu d’un grand bois se dressait un pommier.
Un jeune chevalier qui courait l’aventure,
Attacha son cheval à l’arbre hospitalier,
Séduit par les beaux fruits qui paraient sa ramure.
Ayant croqué l’un d’eux, il songeait à dormir,
Quand du fond des fourrés lui parvint grand tapage.
“Tu as croqué la pomme, alors tu dois mourir !”
Hurlait, venant vers lui, un homme à l’air sauvage.
“Que me chantes-tu là, répliqua le jeune homme,
Je n’ai point peur de toi malgré ton air affreux.
Tiens, voici un écu pour te payer la pomme ! ”
L’autre avançait toujours, menaçant et furieux,
Brandissant une hache et courant de plus belle.
Le jeune chevalier de côté fit un saut,
L’autre dans son élan, répandit sa cervelle
Sur le tronc du pommier, expirant aussitôt.
C’est alors qu’apparut, sortant on ne sait d’où,
Toute de blanc vêtue, une belle princesse.
“Merci beau chevalier, et que le sort m’est doux
De céans vous trouver en ce jour de liesse !
―De quel jour parlez-vous ?
―Mais de mon mariage
Avec l’homme de cœur qui m’a su délivrer !
On me l’avait prédit, je le tiens d’un vieux mage.
―C’est que je ne veux point encor’ me marier !
J’ignore votre nom, vous ignorez le mien,
Il n’est que dans les contes où l’on fait de la sorte !
―Oh ! Le cruel affront ! Moi qui veux votre bien !
Après un tel refus, je voudrais être morte !
―Voyons, ne pleurez pas, cherchons plutôt ensemble
Quelque auberge alentour où prendre du repos.
Montez sur mon cheval. Allons, votre main tremble !
Et ne m’en veuillez pas de mon susdit propos.
Je me nomme Prudent et suis d’un caractère,
Ayant fort médité tous les auteurs anciens,
A bien penser les choses avant que de les faire.
La précipitation n’engendre rien de bien.
Mais parlez-moi de vous. Que faisiez-vous aux mains
De ce monstre hideux, loin de votre famille ?
Fûtes-vous enlevée par quelques spadassins ?
―Vous avez deviné, lui répondit la fille.
Ils demandent rançon auprès du roi mon père.
Mon nom est Violette, et les voilà partis
Le voir en son château, me laissant au cerbère.
Mais ils vont revenir, vite, fuyons d’ici !
―Voilà qui change tout ! Attendons-les plutôt.
Princesse, cachez-vous, les voici qui approchent.”
Dix forbans arrivaient. Il leur cria bien haut :
“Approchez, mécréants, venez qu’on vous embroche !”
Tel un lion fondant sur la faible gazelle,
Il les pourfendit tous et leur prit la rançon.
Puis, fringant et joyeux, héla la demoiselle.
Mais la pauvre en était tombée en pamoison.
Que faire en cet instant ? Comment la ranimer,
Redonner à ses joues les couleurs de la vie ?
Il la prit dans ses bras, lui donna un baiser,
Elle entrouvrit les yeux, le lui rendit, ravie.
Tous deux le cœur en feu, s’en furent au château.
Prudent remit au roi l’argent et la princesse.
On le remercia, le couvrit de cadeaux,
Pourtant une question le tourmentait sans cesse :
Lui, le fin raisonneur, ne comprenait pourquoi
Violette était partout, il ne voyait plus qu’elle !
Aussi demanda-t-il une audience au roi
Qui pour femme accepta de lui donner la belle.
Et les deux amoureux connurent le bonheur,
Mais Prudent se demande, on le comprend en somme,
Quelle est donc la raison qui a conduit l’auteur
A mêler à ce conte une histoire de pomme !
AG
photo YG