La palisse
(La version en français est juste
après)
L’Octavie arrive en courant chez la Jheanne, sa vosine.
̶ Ah ! Ma paur’ Jheanne, sais-tu c’qui m’arrive ?
̶ Et qui don ? O y a peursounne de malade, au moins ?
̶ Non point ! Ah ! si tu savais, si tu savais !
̶ Mé enfin, qui qu’o y a ? Ta, assis-tou … (A s’assit.) Là, o va meux ?
̶ Ah ! I en sais rin …
̶ Tu veux une goutte, un cassis ?
̶ Peur me r’mett’, o m’faurait quèque chouse de raide …
̶ De l’eau d’vie ? Si tu veux. Ol’est une bounne idée. I allant trinquer !
(La Jheanne apporte les deux verres. A bouévant toutes deux.)
̶ A la tenne ! … Ca, o fait dau ben ! … Bon avour, me diras-tu c’qui s’passe ?
̶ Voui, voui … Tu t’souvins qu’i t’avais dit qu’i v’lais faire éléguer la palisse de la pièce de l’Eau qui Dort, derrière la maison …
̶ Voui, tu m’en avais parlé.
̶ I sès allée vouère Zidore peur y d’mander si le v’lait m’la tailler, mé l’m’a dit que l’zou fasait pus.
̶ Pas étounant à soun’ âghe ! L’a quatre-vingt-thienze ans !
̶ P’t’êt’ ben, mé l’est cor’ vaillant. L’fait son jhardin tout seul ! … Enfin sû thièes enteurfaites, i ai cherché sû l’annuaire.
̶ Et pis ?
̶ I ai trouvé un gars qui zou fait. Le d’meure à Broute-Lumas, un Grimaud.
̶ D’la famille de défunt Grimaud qu’était maréchal à Taupignac ?
̶ Non, tu l’counnais pas. L’est rinque arrivé dans l’villaghe. Et pis tu sais, tu perds pas grand chouse !
̶ Ah ?
̶ L’est v’nu aneut, un grand chadâ de dix-huit ou vingt ans ac sa machine. I y ai fait vouère où qu’ol tait, pis i sès ben vite rentrée pace qu’ol’tait l’heure de mon feuilleton.
̶ Derrick ?
̶ Voui.
̶ I le r’gârde mo tou.
̶ Ah ! L’a pas mis d’temps ! Une demi heure pus tard, volà mon gars qui s’amène. Ol’est fait ? Qu’i y d’mande. Oui, que l’me dit. T’as eu vite fait, mon drôle qu’i y dit. Combin qu’i t’doués ? Cinquante euros, que l’me répond. Bon. I y dounne soun’argent, y paye à bouère et pis i sortant tous deux peur vouère c’que l’avait fait …
̶ Et pis ?
̶ Ah ! Ben là, si tu voyais ça ! Echareuillée, massacrée, qu’al ‘est ma palisse, une abomination ! Une ouvraghe ni faite ni à faire ! Ol’ est d’minme que tu travailles ? qu’i y ai dit. Oui, que l’me répond, avec la machine, ça va plus vite ! Sûr qu’o va pus vite, mais tu m’as fait là un travail de gavignat ! Et la d’ssus, i attrappe une oussine de noisstier qui m’sert peur mes cheubes, et i y en fout une volée sû l’échine que l’s’en souvinra un moument !
̶ Tu y es pas allée d’main morte !
̶ Tu m’counnais, i fais pas les chouses à motié ! Je vais le dire aux gendarmes ! que l’me dit en s’carapatant ! I m’en fous, qu’i y réponds, va zou dire si tu veux, bon à rin, graine de voyou !
̶ Mé si l’zou dit aux ghendarmes, tu vas avoir daus embêt’ments !
̶ Ca, o m’étounn’rais ben!
̶ Paraît qu’le nouveau brigadier est pas fin !
̶ Tu sais qui qu’ol ‘est, l’nouveau brigadier?
̶ Ma foué non.
̶ Ol est l’drôle à la Lonore.
̶ La Lonore Sicard qui d’sort de Pied d’Grole ?
̶ Tout jhuste , la Lonore Sicard. Tu sais qu’al est ma camarade de communion !
̶ I zou savais pas …
̶ Si fait. Alors son drôle, le Gustin, tout brigadier qu’lest, tu penses ben que l’me fait pas pour ! I l’ai vu que l’marchait pas cor ! Ol’tait un drôle de citoéyen, ah voui ! Une bêtise attendait pas l’aut’. Sa mère et moué, i y avant foutu mè qu’d’une fessée ! Seigneur, l’y en a fait vouère à la paur’ Lonore ! Ta, i y r’songhe : t’avais ben entendu parler d’la geurnouille que quèqu’un avait mis dans l’bénitier, à l’église jhuste avant la messe de Pâques?
̶ Voui, voui, o y a d’ça … trente ans, pt’ête ben ! Ol’ a jhamais su qui qui z’avait fait …
̶ Eh ben, ol’tait mon Gustin qui z’avait fait ! Moué i z’ai vu. I étais dans le confessiounal, que l’thiuré était en train d’me dounner l’absolution. En boulitant peur la porte, i voués l’ Gustin qui fout la gueurnouille dans l’eau et pis qui jhoue rippe en rigolant tout c’que l’savait !
̶ T’as rin dit ?
̶ Non point. I ai rin dit à peursounne. Tu comprends, sa paur’ mère v’nait d’perd’ soun’ houmme à la guerre, al avait pas besoin d’ça peur dessus l’marché !
̶ T’as eu raison … Ol’ tait don li !
̶ Eh voui ! Alors tu comprends, si l’vins m’causer d’Grimaud, l’entendra parler dau pays ! Et moun’ oussine, al est jhamais ben loin, i peurrais ben y caresser les côtes à li étou ! Ol’est quand même pas les drôles qu’allant c’mmander !
AG
La haie
Octavie arrive en courant chez Jeanne, sa voisine.
̶ -Ah ! Ma pauvre Jeanne, sais-tu ce qui m’arrive ?
̶ -Et quoi donc ? Personne n’est malade, au moins ?
̶ -Non, non. Ah ! Si tu savais, si tu savais !
̶ -Mais enfin, qu’est-ce qui t’arrive ? Tiens, assieds-toi … (Elle s’assied.) Là, ça va mieux ?
̶ -Ah ! Je ne sais pas …
̶ -Tu veux une liqueur, un cassis ?
̶ -Pour me remettre, il me faudrait quelque chose de fort …
̶ -De l’eau de vie ? Si tu veux. C’est une bonne idée. Nous allons trinquer.
(Jeanne apporte deux verres. Elles boivent.)
̶ A la tienne ! Ca fait du bien ! … Bon, maintenant, me diras-tu ce qui se passe ?
̶ -Oui, oui … Tu te souviens que je t’avais dit que je voulais faire élaguer la haie du champ de l’Eau qui Dort, derrière la maison …
̶ -Oui, tu m’en avais parlé …
̶ - Je suis allée voir Isidore pour lui demander de venir me la tailler, mais il m’a dit qu’il ne le faisait plus.
̶ -Pas étonnant, à son âge ! Il a quatre-vingt-quinze ans !
̶ -Peut-être, mais il est encore vaillant. Il fait son jardin tout seul ! … Enfin, sur ces entrefaites, j’ai cherché dans l’annuaire.
̶ -Et puis ?
̶ -J’ai trouvé un homme qui le fait. Il habite à Broute-Lumas, un Grimaud.
̶ -De la famille de défunt Grimaud qui était maréchal à Taupignac ?
̶ - Non, tu ne le connais pas. Il est juste arrivé dans le hameau. Et puis tu sais, tu ne perds pas grand-chose !
̶ -Ah ?
̶ -Il est venu aujourd’hui, un grand gaillard de dix-huit ou vingt ans avec sa machine. Je lui ai fait voir l’endroit, et puis je suis bien vite rentrée parce qu’il était l’heure de mon feuilleton.
̶ -Derrick ?
̶ - Oui.
̶ -Je le regarde moi aussi.
̶ - Ah ! Il n’en a pas eu pour longtemps ! Une demi heure plus tard, le voilà qui revient. C’est fait ? je lui demande. Oui qu’il me répond. Tu as eu vite fait, mon garçon, que je lui dis. Je te dois combien ? Cinquante euros. Bon, je lui donne son argent, lui paie à boire et puis tout deux nous sortons voir le travail …
̶ -Et alors ?
̶ -Ah ! Si tu voyais ça ! En miettes, massacrée, voilà comment elle est, ma haie, une abomination ! Un travail ni fait ni à faire ! C’est comme ça que tu travailles ? que je lui dis. Oui, il me répond. Avec la machine, ça va plus vite ! C’est sûr, mais tu m’as fait là un travail de cochon ! Et là-dessus, j’attrape une baguette de noisetier qui me sert pour mes chèvres, et je lui en mets une volée qu’il n’est pas prêt d’oublier !
̶ -Tu n’y es pas allée de main morte !
̶ -Tu me connais, je ne fais pas les choses à moitié ! Je vais le dire aux gendarmes ! qu’il me dit en se sauvant. Ca m’est égal, que je lui réponds, va le dire si tu veux, graine de voyou !
̶ -Mais s’il le dit aux gendarmes, tu vas avoir des ennuis !
̶ -Ca, ça m’étonnerait bien !
̶ - Il paraît que le nouveau brigadier ne plaisante pas !
̶ -Tu sais qui il est, le nouveau brigadier ?
̶ -Ma foi non.
̶ -Le fils d’Eléonore.
̶ -Eléonore Sicard de Pied d’Grole ?
̶ - Tout juste. Eléonore Sicard. Tu sais qu’elle est ma camarade de communion !
̶ Je ne savais pas …
̶ -Si. Alors son fils, Augustin, tout brigadier qu’il est, tu penses bien qu’il ne me fait pas peur ! Je l’ai vu qu’il ne marchait pas encore ! Un drôle de citoyen, ah, oui ! Une bêtise n’attendait pas l’autre. Sa mère et moi, nous lui en avons donné, des fessées ! Seigneur, il lui en a fait voir de toutes les couleurs à la pauvre Eléonore ! Tiens, j’y songe : tu avais bien entendu parler de la grenouille que quelqu’un avait mis dans le bénitier, à l’église juste avant la messe de Pâques ?
̶ -Oui, oui … Ca fait … trente ans, peut-être. On n’a jamais su qui avait fait le coup.
̶ -Eh bien, c’était mon Augustin ! Moi je l’ai vu. J’étais dans le confessionnal. Le curé était en train de me donner l’absolution. Au travers de la porte, je vois Augustin qui met la grenouille dans l’eau et se sauve en pouffant de rire.
̶ -Tu n’as rien dit ?
̶ - Non. Je n’ai rien dit à personne. Tu comprends, sa pauvre mère venait juste de perdre son homme à la guerre, elle n’avait pas besoin de ça par-dessus le marché !
̶ -Tu as eu raison … C’était donc lui !
̶ -Eh oui ! Alors tu comprends, s’il vient me parler de Grimaud, il entendra parler du pays ! Et ma baguette, elle n’est jamais bien loin, je pourrais bien lui caresser les côtes à lui aussi ! C’est quand même pas les enfants qui vont commander !
AG