Egocentrique
La Tignasse et Marcel sont assis sur leur banc, dans un parc. (Merci Ema pour la photo !) La Tignasse somnole et Marcel, le nez en l’air, écrit de temps en temps sur un petit carnet.
La Tignasse, tu dors ? … Dis donc, ça prend-t-y un « e » ou un « a », « égocentrique »?
Un « e », ça vient de « centre », le milieu … Et puis autrement, ça f’rait « égocantrique » …
Ah oui, c’est vrai, j’suis bête ! Merci.
T’es donc lancé dans les écritures, Marcel ?
C’est pour un poème, mais j’en suis qu’au début …
T’as raison, c’est beau, la poésie !
Sûr que c’est beau ! Dis, j’aurais besoin de ton avis … Le poème, c’est Zézette qui …
Il est pour elle ?
Non, pour moi. J’t’esplique : j’avais causé d’ma dépression à Zézette, et elle m’a dit que souvent les dépressions, ça vient de des trucs du passé qu’on n’a pas digérés. I faut des fois r’monter loin, et moi en r’montant loin, très loin, tu sais sur quoi j’suis tombé ?
Non.
Pan ! Sur « égocentrique » ! C’est le mot que m’a dit Gisèle, ma femme, quand elle m’a quitté, y a quinze ans d’ça : « Marcel, t’es qu’un égocentrique imma … » … je sais pas quoi !
Ture !
Quoi ?
Immature ! … Ben dis donc mon pauv’ Marcel, on peut dire que t’étais habillé pour l’hiver ! Mais pourquoi qu’t’as été causer de tout ça à Zézette ?
Ben pace que Zézette, elle a fait psycho avant d’être à la rue ! Même qu’à une époque, elle avait son cabinet à elle ! Et puis après, j’sais pas c’qui s’est passé… T’étais pas au courant ?
Ah ! Non, j’savais pas. C’est que maintenant, ça se voit plus beaucoup … Moi non plus d’ailleurs, ça s’voit pas non plus, c’que j’étais avant … non, ça s’voit même plus du tout … plus du tout !
Arrête de causer comme ça, ma Tignasse, arrête, tu t’fais du mal !
Je sais, mais quand même … Y a des jours où j’me d’mande …
Ecoute plutôt. Tiens, j’te lis mon poème. Ca commence comme ça :
« Dominique
Est égocentrique … »
Et c’est tout ?
Ben oui, pour l’instant. Je cherche l’inspiration pour la suite.
Mais qui c’est Dominique ?
C’est moi !
Ca s’rait-y des fois ton deuxième prénom ?
Mais non, c’est moi, mais j’ai mis « Dominique » pour la rime. Et puis comme ça, moi j’sais que c’est moi, et les autres, i l’savent pas ! Zézette, elle a dit que ça marchera quand même.
Qu’est-ce qui marchera ?
Ben, la thérapie ! Mettre des mots sur les bleus qu’on a dans l’cœur, ça soulage des fois, qu’elle dit Zézette, surtout si c’est grandiose !
Ah ?
Oui, beau quoi ! Comme … du Victor Hugo. Tiens, moi, « Le laboureur et ses enfants », j’le sais encore par cœur depuis l’école primaire ! Rien qu’d’y penser, j’me sens déjà mieux !
Tant mieux, sauf que c’est d’La Fontaine !
Si tu veux ... Mais Victor Hugo, il aurait pu l’écrire aussi !
Sûr qu’il en aurait été capable ! Mais c’est un peu tard pour lui d’mander !
… Et plus que c’est grandiose, plus que ça marche, qu’elle dit. Faut que … Attends, comment qu’c’est qu’elle dit déjà ? Ah ! Oui. Faut d’une larme faire une perle. C’est joli, non ?
Oui, mais c’est pas d’Zézette, ça, c’est d’Musset. Alfred qu’i s’app’lait. Un bon, celui-là aussi !
Si tu veux ... Tu sais, Zézette, elle en sait des trucs ! … Bon, faut que j’m’y r’mette … à cause de la thérapie !
Allez, j’te laisse, poète, avec ta muse. J’vais faire un tour.
Où ça ?
J’vais causer avec ta Zézette, p’t’êt’ qu’ça m’f’ra du bien !
AG