La Plume bleue est un blog de poèmes et nouvelles écrits simplement au fil des jours, de l'actualité, des événements de la vie. Vous y trouverez également des textes en "parlanjhe" poitevin. Bonne visite !
―Bonjour Tonton Emile !
―Oh ! C’est vous, Princesse ! Bonjour Princesse ! (Il fait la révérence) Quel honneur pour ma modeste boutique !
―Tonton Emile, pas de manières entre nous ! Tu m’as vue au berceau, tu m’as connue quand j’étais Cendrillon, et moi je t’ai toujours appelé Tonton Emile, non ?
―Oui, bien sûr … Mais maintenant, tout a changé …
―Rien n’a changé entre nous ! Et puis nous sommes seuls. Dis-moi tu comme avant !
―Si v… si tu veux.
―Ah ! Voilà qui est mieux ! … Tonton, il me faudrait de nouvelles chaussures, s’il te plaît.
―Mais je t’en ai fait cinq paires la semaine dernière !
―Oui, mais celles-là, c’est pour le dimanche …
―Ah ?
―Oui, le dimanche, le Prince … C’est un romantique … Oh ! Je l’adore ! Le Prince, donc, tient absolument à ce que le dimanche je porte mes pantoufles … enfin, tu sais …
―Tes pantoufles de v …
―Oui, les deux, et à tour de rôle !
―Pourquoi les deux ?
―Mais tu sais bien, à cause de l’orthographe ! Les conteurs auraient pu faire attention ! J’en ai une paire en verre, v-e-r-re et une autre en vair, v-a-i-r. Tu comprends ?
―Alors qu’est-ce qui te chagrine ?
―La paire en verre me fait très mal aux pieds, et l’autre très mal au cœur !
―Pour la première, je veux bien, mais pour l’autre …
―Mais Tonton, tu songes à ces mignons petits écureuils qu’il faut tuer pour réaliser ces chaussures ? Cela me rend malade rien que d’en parler ! Tiens, j’ai envie de pleurer … (Elle essuie une larme.)
―Je n’y vois guère de solution … Tu pourrais parler au Prince …
―Oh ! Non, je craindrais de le froisser. C’est pour lui tellement important ! Je ne supporterais pas de le voir triste !
―Il te faudrait, si je comprends bien, des imitations, mais en plus …
― … Confortables ! C’est tout à fait ça ! Oh ! Tonton, je t’en prie, trouve quelque chose !
―Il y aurait peut-être un moyen, mais …
―Lequel ? Dis-moi vite !
―Dans la rue voisine habite un vieux mage de mes amis, peut-être pourrait-il faire quelque chose …
―Comment s’appelle-t-il ?
―Le mage Héram ... Bon, écoute. Tu m’attends ici, j’en ai pour un instant. As-tu les pantoufles ?
―Oui. Tiens, les voici.
―Merci. Assieds-toi, je reviens. Il y a là sur la table des parchemins quelque peu récréatifs pour faire patienter les clients. Tu peux les consulter en m’attendant.
(Emile sort. Cendrine prend un parchemin et lit. Un quart d’heure après il revient de chez Héram , un sac sous le bras.)
―Voici tes chaussures, ma belle !
―Oh ! Merci Tonton ! Comme elles sont souples, celles en verre ! Et les autres, on dirait vraiment de la fourrure ! Quelle est cette matière ?
―Une matière que nos alchimistes n’ont pas encore inventée. Le mage est allé la chercher dans les siècles futurs. Il appelle cela de la matière “plastique” !
―Merveilleux ! Oh ! Que je suis heureuse ! Combien te dois-je ?
―A moi rien, sinon la promesse de revenir me voir ! Quant au mage, je me suis permis de lui laisser les originaux en paiement. Il est collectionneur et les a installés à la place d’honneur dans sa vitrine. Il est ravi.
―Tu as très bien fait ! Merci encore, Tonton, et à très bientôt ! (Elle l’embrasse avec effusion et sort.)
Ainsi, les chaussures que porte la Princesse Cendrillon le dimanche sont des imitations !
J’ai longtemps hésité avant de révéler ce secret, mais j’en avais trop lourd sur la conscience, il fallait que la vérité éclate un jour.
Par contre, il serait bon que tout cela ne vienne pas aux oreilles du Prince. Je compte sur votre amicale discrétion !
AG
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