La Plume bleue est un blog de poèmes et nouvelles écrits simplement au fil des jours, de l'actualité, des événements de la vie. Vous y trouverez également des textes en "parlanjhe" poitevin. Bonne visite !
Vous savez la nouvelle ? Clémentine est revenue, je l’ai rencontrée ! Pardonnez mon empressement, mais je ne pouvais retarder davantage le moment de vous en faire part. Quelle joie, quel soulagement !
Mais vous souhaitez peut-être que je vous narre les faits. Je vais m’y employer bien volontiers, c’est la moindre des choses.
Ce matin donc, j’effectuais comme chaque jour, depuis que je suis en vacances ici, ma promenade dans la campagne après le petit déjeuner, et comme j’arrivais au pied de la colline qui domine le village, j’aperçus, au milieu des vignes, une tache de couleur inhabituelle. Ajustant mes lunettes, je distinguai une femme. Elle était penchée en avant et paraissait cueillir des fleurs. Je ne sais pourquoi, j’eus à ce moment-là l’intuition qu’il ne pouvait s’agir que de Clémentine. Elle était vêtue d’une robe rose et portait un chapeau de paille.
Je demeurai un moment à me demander quelle attitude adopter. Et si c’était quelqu’un d’autre ? Mais non, c’était bien elle. Et puis il fallait que j’en aie le cœur net. Quittant la petite route, je me mis donc en devoir de gravir le coteau. Nous étions en été, la journée s’annonçait belle, les vignes étaient superbes, et puis j’avais tout mon temps.
Au fur et à mesure que j’avançais, j’étais conforté dans ma certitude. Elle me tournait le dos et pourtant cette manière de marcher, cette attitude, c’était elle à n’en pas douter. Je me trouvais maintenant à une trentaine de mètres, mais elle ne m’avait pas encore aperçu. M’approchant encore un peu, je risquai :
« Pardon Madame … »
Elle se retourna tranquillement, son bouquet de coquelicots à la main, et me répondit dans un sourire :
« Bonjour Monsieur. Enfin vous ! Il y a longtemps que je vous attendais !
- Clémentine ! … Vous me reconnaissez ?
- Bien sûr. Vous êtes l’auteur, celui qui m’a fait disparaître et envoyée ici !
- Mais c’est vous qui le vouliez. Vous vous souvenez ? Je ne l’ai pas dit au lecteur pour ménager le mystère, j’ai un peu romancé, mais c’est vous qui m’avez demandé s’il n’était pas possible de faire une petite escapade de l’autre côté ! C’était notre secret.
- J’en conviens, cela m’amusait … mais au début seulement.
- Et après ?
- Après, je l’ai regretté. Ma famille et mes amis me manquaient.
- Mais vous avez rencontré d’autres personnes, fait d’autres expériences …
- Oui, je vous en remercie d’ailleurs, mais ici, je ne me sens pas à ma place. Faites-moi retourner d’où je viens, s’il vous plaît !
- Mais Clémentine, que dites-vous ? Vous êtes revenue ! Je vous vois, vous me voyez, nous nous parlons, en voici la preuve, non ? Vous m’entendez ; vous êtes REVENUE !
- Revenue ? Où ?
- Mais sur Terre, dans le monde que vous connaissiez avant !
- Monsieur l’auteur, il faut que je vous explique quelque chose … Nous allons en parler en chemin. Ca vous dirait d’aller jusqu’au moulin ?
- Quel moulin ?
- Celui qu’on aperçoit là-bas dans la vallée. Vous n’êtes pas d’ici, ça se voit.
- Non, je suis en vacances.
- En vacances … si l’on veut.
- Mais …
- Je me demande même si vous avez votre permis.
- Quel permis ?
- Celui d’écrire, pardi, votre permis d’auteur !
- Mais oui, je l’ai, tenez, le voici.
- En effet, mais obtenu à la cinquième fois, il n’y a pas de quoi être fier ! Je comprends maintenant que vous soyez sujet aux accidents de personnages !
- Par exemple ?
- Moi par exemple ! Vous m’envoyez n’importe où et ensuite vous ne savez pas comment me sortir de là. Voilà ce que j’appelle un accident de personnage !
- C’est vrai, j’en suis désolé, je débute, vous comprenez. Je vous demande pardon.
- Vous pouvez. Tenez, asseyons-nous là, sur ce banc de pierre, je vais tout vous raconter, mais je vous préviens, attendez-vous à un choc !
- Vous m’effrayez. Est-ce donc si grave ?
- Ca dépend de vous. Je vous le demande encore une fois : faites-moi retourner d’où je viens !
- Mais c’est absurde, vous y êtes déjà !
- Je redoutais cette réponse. Avez-vous au moins votre stylo, un ordinateur, enfin quelque chose pour écrire ?
- Non, je suis en vacances !
- Et dire que je suis le personnage d’un écrivain pareil ! Qu’ai-je fait pour mériter ça ?
- Mais enfin, Clémentine !
- Pardon, je m’énerve, mais il y a de quoi ! Reprenons : Vous pensez que je suis revenue ?
- Oui, bien sûr, c’est évident !
- Non, non et non ! C’est vous qui êtes venu me trouver !
- Quoi ?
- Ecoutez-moi bien, Monsieur l’auteur : vous et moi sommes, en cet instant, tous les deux de « l’autre côté » ! Vous me comprenez ? »
Si je comprenais ! Elle avait dit cela calmement, froidement. C’était donc ça, ces fameuses « vacances » !
A l’instant même un souffle glacé parcourut tout mon être.
AG