La Plume bleue est un blog de poèmes et nouvelles écrits simplement au fil des jours, de l'actualité, des événements de la vie. Vous y trouverez également des textes en "parlanjhe" poitevin. Bonne visite !
Diab’ de portab’
Pièce en un’ acte
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Les peursounnaghes
La Nicole : patronne dau café-restaurant-épicerie "Au Canard Goulu" à Taupignac, un p'tit bourg dau Pouétou. La cinquantaine.
A couté d'Taupignac, o y a trois villaghes : La Berlandrie, Broute-Lumas et Pied d'Grole.
Millin Gargasson : retraité, vit tout seul, 75 ans. D'meure à la Berlandrie. Ivrogne. Le monde disant qu'la pas toute sa tête, mais pr dire vrai l’a teurjhous été d’même. L'a un n'veu, Marcel, qui s'othiupe de li et qu'habite Potché.
Arsène et Clotaire : deux cultivateurs à la Berlandrie.
Henri Gorgheton : 45 ans, mécanicien à Broute-Lumas. Au bistrot pus souvent qu'à son tour.
Barnabé Galurin : 50 ans, maire de Taupignac. Maquignon.
Farnand : 20 ans, fils d'Arsène. Ouvrier électricien à Taupignac. Amoureux de la Marie.
La Marie : 20 ans, fille à l'Octavie. élève infermière à Potché.
Narcisse Pibolon : 78 ans, retraité daus ch'mins d'fer. D'meure à Taupignac.
Sébastien : 22 ans. Facteur à Taupignac. Ami à Farnand.
Le décor
Le café-restaurant-épicerie "Au Canard Goulu".
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Diab' de portab' !
Pièce en un' acte
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Scène I
Au p'tit matin, le café-restaurant-épicerie "Au Canard Goulu" dans l'bourg de Taupignac.
La Nicole, la patronne essuye les verres derrière le comptoir.
Clotaire et Arsène sont assis à une tab'. Le vieux Millin Gargasson est accoté au bar en train d'siffler son troisième verre de rhum.
Persounne dit rin.
A part la Nicole, tout l'monde a l'air endormi.
Le téléphone sounne.
Clotaire et Arsène sursautant.
La Nicole ¾ Allô ! Voui ... Ol est ça. Là, v'étez au "Canard Goulu", le café-restaurant-épicerie à Taupignac. Voui. Ah ! Ol est toué Marcel ! Mais o fallait zou dire tout d'suite ! ... Voui, l'est là, l'est là ... Ah ça ... I sais ben ... Voui, ol est ben malheureux d'venir de même ... Tu veux y parler ? ...Non … Entendu. Bon, ben i vas z'y dire. Voui. Allez, au r'voir, Marcel.
A r’pose le téléphone.
La Nicole ¾ Millin, ol est vout neveu Marcel. Le vous fait dire que l'passra chez vous d'soir, que l'a quèque chouse pr vous. Vers les six heures. Tâchez au moins d'êt présentab !
Millin Gargasson ¾ Voui, voui. T'inquiète pas, Nicole. Ta, dounne-mou don putout un' aut rhum !
A sert Gargasson. Peursounne dit rin. Ol entendrait voler une mouche.
La Nicole ¾ Eh ben les gars, o peut pas dire que v'étez causants, a matin !
Clotaire ¾ M'en parle pas ! I ai pas dormi d'la neut. Allez, r'mets-nous un café, Nicole !
Arsène ¾ Moué ol est pareil, mon pauv’ Clotaire, volà deux jhours que l'Henriette et moué i dormant pas ...
La Nicole ¾ Thielle histoire de portab’ encore ?
Clotaire ¾ Ben ta ! O continue ! Pour sûr, o va mal finir thielle affaire. A la Berlandrie, l'monde sont sû les nerfs avec ça ...(Le bâille).
Entre un' habitué,Henri Gorgheton.
Gorgheton ¾ Salut, la compagnie ! Salut Clotaire, salut Arsène !
Arsène et Clotaire ¾ Salut Henri !
Gorgheton ¾ Coumme d’habitude, Nicole ! … Mais qui qui s'passe don ? Qui qu'v'avez teurtous ?
Clotaire ¾ Tu zou sais don point ? Ol'est vrai qu't'es d' Broute-Lumas …. Tout ça, ol est à cause dau portab’ à la Léonie.
Gorgheton ¾ Dau portab’ ?
Clotaire ¾ Sûr que voui. La Léonie, la soeur à Lucien Badinet, tu la counnais ben ....
Gorgheton ¾ Oui, a d'meure à couté d'chez les Anglais, les … Tomesonne ?
Clotaire ¾ Ol est ça. Al a quatre-vingts ans et al est toute seule. L'aut jhour, l'Octavie l'a trouvée cheute en pien milleu d'sa cour aux poules. Et ol tait pas la première foué ! Alors après ça, son fils Lexand' y a offri un portab’, pr que si a cheut n'importe là où, d'même a peurra teurjhous appler les s'cours.
Clotaire ¾ Surtout qu’al a sa citerne en pien milleu d’son jhardin et pis la mare au bout ! Ol est pas prudent … I y ai ben dit, d’pas aller toute seule dans son jhardin, mais ol est coumme de parler à mes bots !
Gorgheton ¾ Thiau portab’, ol est une bounne idée, quand même. O y a rin d'mal à ça.
Clotaire ¾ Sûr que non ! S'ment, coumme al a tout l'temps pour que l'cheuille en panne, thiel outil, al l'allume à tout moument et al appelle les uns ou ben les aut' ... de jhour coumme en piene neut.
Gorgheton ¾ Ol est don ça, qu'v'avez l'air accabassé d'même !
La Nicole ¾ Pr dessus l'marché, paraîtrait qu'al est insomniaque !
Clotaire ¾ Sûr que voui ! Peursonne peut froumer l'oeil. A matin, en sortant l'tracteur de l'hangar, i dormais à motié. I m'seus réveillé quand qu'lavait les deux roues de devant à ras la mare. O s'en est fallu de rin qu'l'entaille ! Et la Ghermaine en bouévant son café au lait, al a cheu d'sa chaise coumme une casse pis a s'est endormie là sû l'piancher. Quand qu'a s'est réveillée, a savais pus où qu'al était !
Et chez toué, ol est pareil, pas vrai, Arsène ?
Arsène ¾ Pareil. Dèpis deux jours, la Léonie a app'lé dix foués ! I ai compté. I cré ben qu'l'Henriette va dev'ni nurasténique. Al entend thiau téléphone même quand qu'le sounne pas !
Millin Gargasson ¾ Moué, peursounne me réveille point !
Clotaire ¾ Ben entendu, t'as pas l'téléphone !
Gargasson ¾ Ah non ! Ta, Nicole, rhabille don le drôle encore un coup !
La Nicole ¾ Ah ça non, Millin ! V'avez assez bu d’même ! Vout neveu vin d'soir .O faurait putout songher à rentrer. Etez-vous à pied ?
Minnin Gargasson ¾ Non point. I ai ma ... ma voturette garée d'vant l'é ... l'église.
Arsène ¾ Te tracasse pas, Nicole i vas l'ramner chez li. L'est pas en état.
Millin Gargasson ¾ T'as p'têt ben raison, Arsène. I m'sens pas ben solide sû mes jhambes tout d'un coup.O faurait pas vieillir, ta ! O doué êt ma tension ou ben mon diabète qui m'reprend.
Entre la Marie, un panier sous l’bras et sa bourse à la main.
La Marie ¾ Bonjhour tout l'monde ! Bonjhour Arsène.
Tout l'monde ¾ Bonjhour, Marie !
La Nicole ¾ Alors, ma p'tite Marie, qui quo t'faut, a matin ?
La Marie ¾ Une boîte de suc et une demi-liv' de beurre.
La Nicole ¾ A part ça, comment quo va ta m'man ?
La Marie ¾ O va, a part que la Léonie l'a encore app'lée trois foués thiette neut et qu'al a pas pu s'rendormir.
Gorgheton ¾ Mais qui don qu'a dit à chaque foué ?
La Marie ¾ Teurjhous pareil : a d'mande si o marche, si o l'entend ben, "cinq sû cinq", coumme a dit, pis a raccroche.
Arrive le maire, Barnabé Galurin.
Gorgheton ¾ Ta, volà nout’maire !
Barnabé ¾ Salut, tout l'monde !
Tout l'monde ¾ Salut Barnabé !
Barnabé ¾ V'en faisez daus figures ! O y a-tou quéqu'un qu'est mort ?
Clotaire ¾ Peursounne heureusement, mais p'têt ben qu'o va pas tarder ...
Barnabé ¾ Ah ! Parle pas d'malheur ! Encore thiau portab’, dezard ? Ta, Nicole, dounne-mou un roughe.
La Nicole ¾ Et l'appellant ça l'progrès technique, tu parles !
Clotaire ¾ N'empêche qu'o faut trouver une solution. Qui qu't'en penses, toué, en tant qu'maire, Barnabé ?
Barnabé ¾ I en sais rin ... I seus pr le dialogue social, coumme o dit nout’ député ... I va don m'rend chez elle et pis essayer d'y faire entend raison, pardi. I voué rin d'aut'. Qui qu'v'en pensez, les gars ?
Clotaire ¾ T’as raison. Ol est l'mieux à faire, mais i t’souhaite bon couraghe !.
Gorgheton ¾ Et si o y supprimait thiel enghin ?
Clotaire ¾ Sûr que non ! Ah ! Faut pas faire ça, malheureux ! Al est cardiaque. O y f'rait un choc qu'al en s'rait capab de passer l'arme à gauche. Al a déjà fait deux infactus ! L'méd'cin z'a dit : l'prochain coup s'ra l'bon !
Entre Farnand.
L’a l'air accabassé. L'marche en traînant les pieds.
Le va bigher la Marie et pis Arsène, son père.
Farnand ¾ Bonjhour Marie, bonjhour, P'pa !
Tout l'monde (Sauf Gargasson qui dort à motié sû l'bar) ¾ Bonjhour, Farnand !
La Marie ¾ As-tu réussi à dormir thiette neut, mon Farnand ?
Farnand ¾ La Léonie a applé six foués ! I ai pas froumé l'oeil. Mais pendant qu'i dormais pas, i ai pas tout peurdu : i ai pensé à ma p'tite Marie !
La Marie ¾ T'es bête ! Ta, i va à l'église balayer, pis arrangher les bouquets pr la messe de d'main avec m'sieur l'thiuré.
Farnand ¾ I peux v'nir ? ... Pr t'aider à balayer ?
La Marie ¾ Oui, si tu veux.
La Marie paye et sort suivie de Farnand.
Clotaire ¾ Tu parles de daus balayeurs ! Mais en volà deux qui sont ben accoubiés, sûr que voui, pas vrai, Arsène ?
Arsène ¾ Ol est vrai. Al est mignounne thielle p'tite Marie, jholie coumme un jhour. Et pis travailleuse. Tu sais qu’a passe son examen d'infermière la s'maine prochaine !
Barnabé ¾ Bon, ol'est pas tout ça ... En attendant d'les marier thiès deux-là, o faut faire face à l' urghence ! Attendez-mou là, i en ai pas pr longtemps.
Arsène ¾ Allez, Millin, i vas t'ram'ner, tu tins pus d'bout. A t'à l'heure, les amis !
Gargasson (se r’tournant) ¾ A … à l’arvoiyure, Ni … Nicole ! A d’main matin !
Barnabé et Arsène sortant en t'nant Gargasson qu'a les jhambes en coton.
Rideau
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