Certain brigand, de nuit, pour tenter l'aventure,
S'avisa de voler chez un riche bourgeois.
Plus agile qu'un chat, il franchit la clôture,
Contourna la maison et grimpa sur le toit.
Là, l'oreille aux aguets, près de la cheminée,
Il s'enquit de savoir si le monde dormait.
Or, il n'en était rien. Le maître dans l'entrée
Riait avec sa femme, à ce qu'il entendait.
Ce qu'il ne savait point, ce fut pour lui dommage,
C'est qu'ils avaient tout vu, puis ourdi en secret
Un tour à leur façon. Le maître, sans ambages,
D'une voix de stentor, soudain de s'exclamer :
- Femme, t'ai-je avoué d'où me vient la richesse
Que l'on peut admirer partout dans la maison :
Bijoux, vases précieux et sonnantes espèces ?
Parlant tout aussi fort, elle lui dit que non.
- Ma fortune, ma Mie, est due au brigandage !
- Quoi ? Vous fûtes larron ? - Hélas, mais par bonheur,
Grâce au charme secret donné par un grand mage,
Je pus de mes larcins toujours sortir vainqueur.
- Quel était ce secret ? - Femme, tu m'importunes,
Je ne sais si je dois... - Mais nul ne nous entend !
- Bon. Sept fois prononcer le charme sous la lune,
Puis baiser son rayon. - De lune ? - Assurément !
Ce rayon nous devient alors comme une échelle,
On y monte et descend plus vite que l'éclair.
- Mais le mot, quel est-il ? - Saül ! - Saûl ? dit-elle,
Forçant bien haut la voix et regardant en l'air.
- Mais il est tard, ma Mie, rejoignons notre couche !
Et les voilà tous deux feignant de bien dormir.
Le voleur sur le toit n'y trouvait rien de louche,
Tout heureux du secret qu'il venait d'obtenir.
Il répéta le mot, puis dans la cheminée
Glissa. Hélas, point de rayon pour le porter !
Il fut livré de force à la maréchaussée,
Marri de l'escapade et le corps tout brisé !
AG
D'après le conte : Du larron qui embrassa un rayon de lune
in : Le Castoiement (instruction) d'un père à son fils
ouvrage moral en vers composé au XIIIème siècle
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